« Bolsonaro n’est pas mon président » : les Brésiliens de France sonnés

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« J’ai honte. 70 % de ma ville natale a voté Bolsonaro, confie Luis, 41 ans. J’ai honte, parce que mes copains et mes parents ont donné carte blanche à un mouvement qui est contre l’avortement et qui envisage de flexibiliser le port d’armes, dans un pays où 60 000 personnes sont mortes l’année dernière par arme à feu. » Comme cet informaticien arrivé il y a dix ans à Paris, de nombreux Brésiliens de France se sont réveillés, lundi 29 octobre, avec la gueule de bois. La veille, leur pays natal élisait le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, avec plus de 55 % des voix.

Dans un appel à témoignages du Monde, des dizaines d’entre eux ont confié leur surprise, voire leur incompréhension face à la victoire de cet ancien militaire, nostalgique de la dictature qui a dirigé d’une main de fer le Brésil entre 1964 et 1985. Une dictature que certains d’entre eux ont fuie, avec leurs parents, pour la France, et qu’ils craignent de voir revenir avec Jair Bolsonaro.

Cette envie de faire barrage à l’extrême droite s’est vue dans les urnes : 69 % des Brésiliens de France ont voté pour le candidat de gauche Fernando Haddad – contre moins de 30 % pour les expatriés brésiliens du monde entier. L’échec digéré, ils hésitent aujourd’hui entre s’engager davantage pour la démocratie brésilienne… ou couper le cordon, au moins quelque temps, avec un pays qu’ils ne reconnaissent plus.

Sidération

Erika est « accablée ». Cette universitaire est arrivée en France en 1966, à l’âge de deux ans, dans les bras de ses parents qui fuyaient la dictature. Impossible pour elle de comprendre comment 55 % des Brésiliens habitant dans son pays natal ont choisi Jair Bolsonaro, même si « les désillusions et les corruptions de l’ère Lula [ont été] bien effectives et bien décevantes ». Pour elle, le travail de mémoire autour de la dictature n’a pas été fait. D’où le réveil d’une certaine nostalgie pour l’autoritarisme. « Dans le musée de Rio, la partie dévolue aux années de plomb m’avait paru très succincte. Comme si ces années dictatoriales avaient du mal à être élaborées dans une perspective à la fois critique et historique », analyse-t-elle. Depuis sa visite, le musée est parti en flammes en septembre et le peu qu’il restait de la mémoire sur les crimes de la dictature a été réduit en cendres. « Une étrange allégorie » de cette élection, conclut-elle.

Mais le vote Bolsonaro ne s’est pas seulement construit sur le souvenir vague de la dictature, selon les soutiens brésiliens du nouveau président interrogés par Le Monde. Parmi la minorité d’expatriés faisant part de leur « bonheur » au lendemain de cette élection, Lucca, 28 ans, insiste sur la hausse de la délinquance et « la dégradation de la santé publique et de l’éducation nationale » ces dernières années, qu’il impute à la « corruption colossale » du Parti des travailleurs de Fernando Haddad.

Le parti, au pouvoir entre 2003 et 2016, est, en effet, englué dans des scandales de corruption depuis plus de dix ans, allant du mensalao (grosse mensualité), en 2005 – l’achat de votes auprès des membres du Congrès –, à « Lava Jato » (lavage express), en 2014 – une opération anticorruption ayant abouti à la condamnation à douze ans de prison de l’ancien président Lula« Maintenant, j’ai l’espoir de pouvoir un jour rentrer dans mon pays, un pays plus prospère et moins dangereux », poursuit le jeune homme de 28 ans.

Des supporteurs de Jair Bolsonaro à Sao Paulo (Brésil), le 28 octobre.

Inquiétude pour les proches

Si Lucca se réjouit du retour de la sécurité dans son pays, la libéralisation du port d’armes et l’amnistie des crimes des policiers promises par Bolsonaro inquiètent certains Brésiliens de France, dont les proches sont restés au pays.

Un effroi particulièrement vif chez les minorités, qui craignent des bavures policières, voire la création de milices, galvanisées par le discours raciste, homophobe et misogyne de Jair Bolsonaro. Luisa, étudiante à Sciences Po, raconte avoir appelé sa sœur, lesbienne, le soir du scrutin :

« Elle pleurait parce qu’elle avait peur pour sa vie. »

Une angoisse partagée par Aline, femme noire originaire de la banlieue nord de Rio, qui raconte « craindre pour la vie de [sa] famille, de [ses] amis et de [son]peuple ». Car les menaces sont bien réelles, raconte cette femme de 32 ans, rappelant que le 14 mars, l’élue locale lesbienne et militante antiraciste Marielle Franco a été assassinée. Aline espère, cependant, soutenir ses proches depuis la France, d’où elle se sent « privilégiée de pouvoir raconter [son] histoire et de protester sans craindre d’être assassinée